Passer au contenu directement Passer à la navigation directement
groenlandia-banner-desktop.jpg
THE CALL OF THE SIREN

C’est en août 2021 que Matteo Della Bordella, Silvan Schüpbach et Symon Welfringer atteignent la côte est du Groenland. Ils sont parmi des alpinistes les plus forts de la scène internationale. Matteo est un visionnaire toujours à la recherche de nouvelles lignes ayant réalisé des expéditions et des ascensions extrêmes à travers le monde ; Silvan connaît comme sa poche les faces les plus dures de Suisse et des Alpes; Symon possède dans son cursus un Piolet d’Or, la plus haute distinction dans le domaine de l’alpinisme. Tous les trois partagent une passion pour l’aventure et un désir de vivre des expériences « avec des moyens équitables », confrontés à de grandes difficultés avec un style d’escalade propre qui essaie de laisser le moins de traces possible sur la montagne.

Au Groenland, ils choisissent de vivre une expérience globale, face à une longue traversée en kayak dans l’océan Arctique pour atteindre un mur haut et difficile dans un environnement éloigné afin de s’exprimer au maximum, loin des contraintes humaines, redécouvrant le contact le plus sincère avec la nature sauvage.

GROENLAND PARTIE 1 - OÙ LE SOLEIL NE SE COUCHE PAS



Comme dans une mosaïque de nuances vives, les maisons du village de Tasiilaq commencent à germer les unes après les autres derrière la colline. Elles forment un cadre de petits carrés colorés. “Nous sommes chez eux ici” se dresse symboliquement sur la porte de la « Red House ». Robert Peroni nous accueille avec un sourire plein d’enthousiasme. Son visage est marqué par des rides riches en expérience. Quarante ans nous séparent sur la carte d’identité, mais les idées et les ambitions sont les mêmes. Né dans le Sud Tyrol, après vingt ans d’exploration et d’escalade extrême, Robert a choisi de faire de cette petite ville de la côte Est du Groenland son camp de base.Une terre rude et sauvage habitée par les Inuits, un peuple longtemps menacé dans son intégrité par l’arrivée de la modernité. Lorsque Robert arrive sur cette terre, il est confronté à des garçons et à des hommes qui ont besoin de soutien, à la fois matériel et psychologique. Il les accueille dans une vieille maison qui, année après année se transforme, jusqu’à ce qu’elle devienne un petit hôtel pour les touristes des expéditions nordiques. La célèbre et confortable Casa Rossa (Maison rouge).

groenlandia chapter 1 3 groenlandia chapter 1 3 mobile

“Les dernières années n’ont pas été faciles du tout”, dit-il alors que la chaleur intérieure commence à réchauffer nos os. « La pandémie a tout arrêté. » Ici, le virus n’est pas arrivé apportant les morts que nous avons tous encore en memoire, mais il a anheanti l’économie locale. La côte Est du Groenland est isolée depuis une année entière, nous dit-il. Sans approvisionnement, la nourriture a également commencé à être rare alors que même aujourd’hui, l’absence de tourisme continue de mettre à genoux toute la communauté. Mais Robert n’est pas du genre à abandonner à la première difficulté. Il aime le défi, je le vois de ses yeux brillants.. “Alors, qu’avez-vous en tête?” Nous demande-t-il. La table est remplie de cartes. Les cahiers sont recouverts de croquis. Robert est une rivière en crue. À l’extérieur de la fenêtre, les éléments se déchaînent. Une force primordiale se révèle sous nos yeux. Je ressens, en même temps, un frisson sur le dos et une boule dans la gorge nous imaginant là-bas. Moi, Silvan Schüpbach, Symon Welfringer et la nature la plus extrême.

Silvan est suisse et ensemble, nous avons déjà partagé de telles expériences immersives. En 2018, en Patagonie, lorsque nous avons réussi à ouvrir une nouvelle voie sur le Cerro Riso Patron Sud après avoir fait face à une traversée en kayak d’environ 100 kilomètres et à une longue approche à travers un territoire sauvage. Tout cela, bien sûr, en totale autonomie. Symon est français et c’est la première fois que nous sommes ensemble en expédition. Il a un CV d’alpinisme qui le place parmi les meilleurs grimpeurs du monde et un fort sens de l’ironie. Toujours accompagné de ses fidèles chemises hawaïennes, c’est un partenaire de cordée très valable. Les yeux de Robert nous pénètrent alors que nous racontons nos intentions. Nous n’avons aucun secret pour lui. Qui sait ce qui passe dans son esprit, à travers cette expression muette mais concentrée. Plus de 150 kilomètres en kayak, 70 kilos de charge chacun, une paroi intacte. De la pure aventure! Avec Silvan et Symon, nous formons un joli trio soudé, même Robert l’a remarqué. Nous parlons comme une seule personne.





L’OCÉAN EN KAYAK



Au port de Tasiilaq nous passons une demi-journée simplement pour préparer nos embarcations. Vous devez bien répartir les charges et vous assurer que chaque kayak est bien équilibré. Nous avons 210 kilos de nourriture, de matériel d’escalade et de camping, de vêtements et d’autres équipements. Nous ne pouvons rien laisser au hasard, une fois que nous partons nous sommes seuls jusqu’à notre retour.. Si pour tout bon alpiniste préparer le sac à dos avant une ascension est un art, il en va de même pour nous avec la préparation de kayaks pour 25 jours d’expédition en totale autonomie. Chaque élément de notre équipement a été choisi avec le plus grand soin pour limiter le poids et le volume. Nous avons le strict minimum avec nous : deux vêtements de rechange sur lesquels nous plaçons notre plus grande confiance, des produits chauds, respirants et en même temps parfaitement compressibles comme la polaire K-Performance Fleece. Elle ne pèse que 350 grammes et représente une seconde couche capable d’offrir le maximum avec un rapport chaleur-compressibilité imbattable.

Avec le soleil incapable de se coucher sur l’horizon, nous laissons les kayaks glisser lentement hors du port et nous commençons à pagayer sur l’océan. Je suis détendu et heureux. Je me sens libre. Je ne dépends plus de forces ou d’agents extérieurs. Maintenant, je suis maître de mon destin et devant moi j’ai l’espace infini de l’océan Arctique. Nous sommes en route vers les Mythics Cirque. La combinaison vertueuse d’un bon entraînement, de kayaks exceptionnels et de conditions de mer parfaites nous rend la vie relativement simple. Chaque jour, nous pagayons environ 7 heures, parvenant à parcourir une distance de 40 kilomètres. Toutes ces heures en kayak sont lourdes et nécessitent un effort intense et prolongé au fil du temps. Les combinaisons étanches nous protègent en cas de chute dans les eaux glacées de l’Arctique, mais en même temps, elles nous font transpirer et nous déshydrater très rapidement. Pour essayer de rester au sec sous la combinaison, nous portons le t-shirt Croda Rossa, qui, grâce à sa respirabilité, nous garde au sec même après des heures de pagaie épuisante.

groenlandia chapter 1 desktop 1 groenlandia chapter 1 desktop 1 mobile

Les jours se succèdent rapidement, l’un après l’autre, pagayant parmi des icebergs géants sous l’œil vigilant des phoques. Ils semblent intrigués par notre passage. Chaque soir, nous campons sur la côte, souvent dans des endroits idylliques. De véritables coins de paradis, avec de l’eau douce et une vue incroyable sur l’océan, que nous parvenons à apprécier malgré notre « navigation à vue ». Le panorama nous fait oublier tous les efforts même quand, après 100 kilomètres, Silvan commence à ressentir une douleur gênante aux bras. Mais maintenant, nous n’avons plus le temps de nous décourager et, en serrant les dents, après quatre jours nous voici enfin devant les faces du Cirque Mythics. Devant nous s’ouvre un amphithéâtre de rochers verticaux et surplombant. Dans nos têtes nous imaginons déjà des lignes et des voies qui montent rapidement vers le sommet. Les premières traces humaines sont à des centaines de kilomètres.

groenlandia chapter 1 2 desktop groenlandia chapter 1 2 mobile

Mais, attendez ! Qui sont ces 4 là ? Sur la côte, sean Villanueva, Nico Favresse, Jean Louis Wertz et le Suédois Alexsej Jaruta nous accueillent nus au son de la musique. Quelle est la probabilité de rencontrer un groupe d’amis dans l’un des endroits les plus reculés de notre planète ? Ils sont arrivés quatre jours avant nous, sur un voilier, avec également l’intention d’explorer les parois vierges du cirque Mythics. Une vraie surprise et un grand plaisir de rencontrer des amis. Des alpinistes très forts qui partagent notre même style de grimpe, mais qui surtout vivent la montagne d’une manière si aventureuse même ici, au bout du monde. Un dîner et beaucoup de rires suffisent à nous faire sentir chez nous après les longues journées de kayak. Puis nous nous endormons en regardant les silhouettes de plus en plus petites de nos amis aller vers les grandes parois. Enfin, le temps est venu pour nous de ranger les kayaks, les pagaies et les combinaisons étanches pour regarder vers le haut.



GROENLAND PARTIE 2 - L’APPEL DE LA SIREN TOWER



Avant de commencer cette expédition, nous avons analysé les quelques photos que nous avons réussi à récupérer sur le Mythics Cirque et immédiatement notre attention a été attirée par la verticale et imposante face nord de la Siren Tower (Tour de la Sirène). Certainement la plus attrayante, esthétique, élancée et compacte parmi celles que ce magnifique amphithéâtre dans lequel nous nous trouvons nous offre. Le coup de foudre est immédiat, la décision est prise. Essayons de la grimper!

groenlandia chapter 2 1 desktop groenlandia chapter 2 1 mobile

Après quelques jours de récupération suite au voyage en kayak, nous profitons du temps stable pour attaquer le mur. Avec nous, nous apportons de la nourriture pour 6 jours, 40 litres d’eau et 3 portaledge gonflables. Ces derniers sont utiles pour installer un bivouac sur le mur, afin de pouvoir se reposer « confortablement ». Nous voulons profiter de cette montée, sans trop forcer le rythme et sans précipitation pour ramener le sommet à la maison. Nous sommes ici pour vivre une aventure, pour profiter pleinement de l’environnement et de l’ascension. Au cours des deux premiers jours, nous gravissons les 300 premiers mètres de la falaise. De manière rythmée, nous grimpons et récupérons les lourds sacs avec le matériel qui restent accrochés aux cordes au fur et à mesure que nous grimpons afin de ne pas trop nous alourdir. Nous sommes convaincus que nous pouvons réussir notre projet, mais nous savons aussi que le plus difficile reste à venir : devant nous se trouve la section la plus verticale et la plus raide.Il suffit de lever les yeux pour ressentir l’intimidation de ce rocher compact. Nous l’observons pendant longtemps une fois installés pour la nuit. Les questions qui encombrent l’esprit sont nombreuses et répétitives. Le doute commence à s’infiltrer en nous. Soudain, rien ne semble devoir aller correctement le bon sens, en attendant, le ciel semble ne pas vouloir livrer nos pensées aux ténèbres.

Lorsque nous nous réveillons le troisième jour, Silvan se plaint d’une douleur intense au bras. Voilà que ressurgit cette gêne déjà vécue en kayak. Jusqu’à aujourd’hui, il a forcé, essayant d’ignorer le problème, mais maintenant il ne peut plus le gérer. Symon, comme toujours, nous regarde avec son sourire calme. Il est motivé et confiant. Sans y penser, il commence à grimper et, après plusieurs tentatives, il parvient à surmonter une fine fissure de 10 mètres de long. Un passage plus que délicat, protégé uniquement par des micro nuts auxquels nous ne faisons pas trop confiance. Seule une règle : ne pas tomber ! Plus loin, la fissure s’élargit et nous fait croire que ça sera plus facile. Je prends tout le matériel et j’essaie de continuer.

Les premiers mouvements s’enchaînent puis, centimètre après centimètre, je réalise que la place pour placer des protections se rétrécit de plus en plus. La fissure devient progressivement plus étroite, jusqu’à ce qu’elle disparaisse après une dizaine de mètres. Je suis combattu, mais je ne peux pas m’empêcher de continuer en pratiquant l’escalade artificielle.

groenlandia chapter 2 2 groenlandia chapter 2 2 mobile

Un style lent et laborieux, qui s’éloigne drastiquement de mon approche du monde vertical. Dans certaines conditions, il est nécessaire de s’armer de patience. Il faut deux heures et demie de tentatives, un temps où il y a des efforts, des frayeurs et un travail méticuleux de menuiserie verticale, pour atteindre une nouvelle fissure où je peux placer deux bons friends qui me permettent de respirer, avant de faire face en libre aux 5 prochains mètres qui mènent à un dièdre évident.

Ici, notre journée se termine, nous sommes épuisés par l’escalade.Nous avons passé 4 heures à franchir 23 mètres. La voie est encore longue devant nous et, levant les yeux, nous avons des sensations mitigées, comme cela arrive tous les soirs. Peut-être, devrions nous abandonner. Mais ce n’est pas le moment de penser à l’avenir. Nous sommes fatigués et nous avons besoin de nous reposer, nous descendons sur le portaledge où nous trouvons Silvan, avec le dîner fumant, enveloppé dans sa doudoune Artika. Peu de temps après, je me suis également laissé aller à la chaleur relaxante de la plume naturelle. La chaleur envahit mon corps et les muscles se détendent pendant que les endorphines font effet. L’Artika est une doudoune extrêmement confortable et chaude, que nous avons choisi d’emmener avec nous pour sa membrane extérieure résistante à l’abrasion et au frottement contre la roche avec laquelle nous sommes en contact pratiquement 24 heures sur 24. Avant de dormir, nous devons monter les deux autres portaledges gonflables, de grands matelas renforcés à accrocher à la paroi. Les heures nocturnes sont pratiquement les seules pendant lesquelles nous pouvons nous détendre et bien nous reposer, il est important d’avoir un minimum d’espace où nous pouvons nous allonger et laisser les muscles se détendre. Lorsque nous essayons de les gonfler, nous remarquons immédiatement que l’air ne tient pas. Ils sont troués ! Le moral, déjà à zéro, s’effondre. Nous passons des heures à essayer de trouver une solution improbable pour éviter un horrible bivouac en étant suspendus aux harnais, mais rien ne semble fonctionner. Il n’y a aucun moyen de gonfler ces deux matelas et à chaque défaillance, la frustration augmente. Symon crie dans le vide pour relâcher la tension et d’en haut les Belges lui répondent. Nos anges gardiens ! Ils sont en train de descendre après avoir terminé l’ouverture d’une voie parallèle à la nôtre sur le côté droit de la face nord de la Siren Tower. « Sean, Nico ! » Nos cris joyeux rebondissent sur les murs. « Matteo ! Symon ! Silvan ! » Ils répondent. Nous arrivons rapidement à convenir d’un prêt d’un portaledge. Ils ont terminé leur ascension et pendant quelques jours, ils n’en auront plus besoin. Nous l’assemblons en quelques minutes, tout en écoutant leur histoire. Puis, enfin confortables sur un matelas, nous les regardons descendre rapidement vers la vallée. Ils disparaissent dans le vide, la bonne humeur revient.



LES JOURS LES PLUS DIFFICILES



Quatrième jour sur la paroi. L’environnement est incroyablement calme et il n’y a pas un fil de vent. Dans l’air, les seuls sons sont ceux de nos ferrailles suspendus au harnais. Il fait frais et je suis heureux de porter mon pantalon K-Performance. Depuis que je l’ai essayé pour la première fois, il y a plus de trois ans, je pense que je l’ai emporté avec moi à chaque expédition. De la Patagonie au Pérou, du Groenland à l’Himalaya. Devant nous s’ouvre maintenant la partie la plus difficile de la voie et nous sommes que deux. Silvan essaie de récupérer mais il n’est pas encore capable de faire face à des longueurs dures et difficiles. Je prends les choses en main. Je grimpe une première longueur pas particulièrement difficile, mais complexe à protéger. Arrivé au relais, je me prépare à passer le relais à Symon, mais l’ami français préfère que je reste en tête. Une fois de plus, je lève les yeux vers l’inconnu. Le mur devient surplombant, les fissures légèrement évasées, toujours discontinues et de plus en plus éloignées les unes des autres. Je pars sans trop de motivation et avec pas mal de difficulté je surmonte les premiers mètres puis, en cherchant un appui avec le pied, je détache un bloc qui tombe sur la jambe de Symon le faisant hurler de douleur. Juste un coup, rien de grave, mais nous ne pouvons pas prendre de risques. Pendant un moment je suis assailli par des pensées négatives, que je peux repousser en regardant le sourire de Symon. Sa capacité à rester calme m’impressionne. Je mets de côté la fatigue et j’éteins le robinet des pensées négatives qui me tourmentent, en essayant de me concentrer uniquement sur la grimpe et sur le mètre carré de granit que j’ai devant moi. Je peux placer d’excellentes protections, mais après une courte série de mouvements, ils sont déjà trop loin en dessous de moi. Je m’étire pour placer un alien dans un trou évasé... une aide plus psychologique qu’autre chose. Je sais qu’il ne pouvait pas tenir un vol, mais l’avoir là me permet de détendre mon esprit et mes muscles. Je charge une partie de mon poids sur la protection et passe un temps interminable à relaxer mes bras, avant de repartir.

“Si ça ne tient pas, ça va être un problème” ccommente Symon dès mon départ, mais il est déjà trop tard pour m’influencer. Je grimpe sur une belle fissure, où je peux enfin placer de très bonnes protections. Je la suis fidèlement vers le haut, sans possibilité d’erreur. Les muscles sont tendus au maximum, je suis très concentré sur chaque mouvement. Une longueur très dure. Quand j’arrive à la fin, c’est une libération. Je suis vidé de toute énergie, mais en levant les yeux, je peux enfin sourire : la voie vers le sommet, bien que longue, ne présente pas de grands obstacles. Nous entendons la voix de Silvan depuis le portaledge, il est aux anges de notre succès et quand nous le rejoignons, il nous accueille comme si nous étions déjà au sommet. Son bras va mieux et demain il veut poser les mains sur le rocher, pour compléter ce que nous avons commencé ensemble.



SOMMET!



Le cinquième jour est le plus dur jusqu’à présent. Les longues et dures heures d’escalade de la veille ont laissé leur marque, alors je me suis mis en « économie d’énergie » en me limitant à suivre mes compagnons jusqu’au sommet.

groenlandia chapter 2 3 groenlandia chapter 2 3 mobile

Nous remontons toutes les cordes fixes, jusqu’au point atteint hier, puis Symon attaque. Avec Silvan, ils alternent en tête jusqu’à ce qu’ils couvrent les 300 mètres de mur qui manquent jusqu’au sommet. Nous l’atteignons dans l’après-midi. Lorsque nous sommes tous au sommet, nous pouvons enfin regarder vers l’horizon. Un panorama incroyable, une vue à 360 degrés qui nous redonne tout ce que l’escalade a exigé de nos jours. Ce qui nous étonne, ce ne sont pas les icebergs ou l’immensité de l’océan d’où nous sommes arrivés, mais la vue privilégiée sur l’immense calotte glaciaire du Groenland qui s’étend à perte de vue au-delà d’une multitude de sommets encore inexplorés. Je suis imprégné d’un sentiment de paix et d’harmonie qui me fait ressentir une étrange harmonie avec cette terre. Pour un instant, mon âme agitée et jamais rassasiée trouve enfin son accomplissement au sommet d’une montagne inconnue. Pour un instant, je vis dans le présent.

groenlandia chapter 2 4 groenlandia chapter 2 4 mobile



GROENLAND PARTIE 3 - DESCENTE, EXPLORATION ET RETOUR



La nuit qui n’arrive jamais et le panorama infini nous font perdre la notion du temps. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés au sommet de la Siren Tower, mais nous sommes complètement absorbés et nous devons presque nous forcer à préparer les rappels qui nous ramèneront dans la sombre face Nord pour retourner au portaledge. Lorsque nous les atteignons, nous nous demandons ce que nous devons faire: descendre et arrêter notre expérience ici, ou continuer à grimper pour libérer toutes les longueurs que nous avons grimpées artificiellement. En réalité, il y a très peu de discussion, la décision a déjà été prise. Nous nous couchons, prêts pour une nouvelle journée d’escalade. Être capable de libérer la longueur clé de la voie après tous les efforts déployés pour l’ouvrir, serait la cerise sur le gâteau d’une grande aventure.

CETTE FOIS, C’EST DIFFÉRENT



Avec les prises déjà blanches et visibles grâce à la magnésie, les friends pré-positionnés et aucun poids supplémentaire au harnais, l’escalade est bien différente. C’est passionnant ! Beaucoup moins difficile que je ne m’en souvenais. Comme toujours, l’ouverture et la répétition d’une voie, même sur une seule longueur, sont deux mondes distincts. Deux expériences personnelles radicalement différentes. Coincements des doigts, exposition totale. J’ai presque l’impression d’être sur El Capitain, au Yosemite. Le rocher est incroyable. La première tentative échoue; lors de la deuxième tout semble naturel. Un mouvement après l’autre, je me déplace avec une légèreté inattendue et en peu de temps je suis au relais. Quelle longueur incroyable! Il n’en reste plus qu’une. Silvan et Symon s’en occupent et au lieu d’affronter directement les difficultés grimpées en artificiel ils parviennent à trouver un moyen de les contourner avec une traversée en dalle par la droite. Ils grimpent sur des prises millimétriques, effectuant des mouvements précaires. Maintenant, nous pouvons descendre en effectuant de nombreux rappels jusqu’à la base de la paroi.

AU CŒUR DU GLACIER



Après une expérience aussi intense, le plus naturel serait de reprendre la route du retour pour retrouver nos familles. Pourtant, nous ne nous sentons toujours pas satisfaits, alors nous décidons de charger les kayaks et nous partons à la découverte d’un fjord voisin. Remonter sur les kayaks est agréable après les journées passées à la verticale dans le mur.

groenlandia chapter 3 1 groenlandia chapter 3 1 mobile

Le kayak est vraiment un moyen incroyable ! Il vous permet d’explorer et d’atteindre les endroits les plus reculés de cette terre, des environnements qui ne seraient pas atteignables avec un voilier. Nous nous glissons donc dans le fjord, remontant vers l’arrière-pays. Nous accostons au point le plus profond du fjord, découvrant que selon les cartes en notre possession, nous devrions être au cœur d’un grand glacier ! Le fjord aurait dû s’arrêter 5 kilomètres plus tôt. Nous n’en croyons pas nos yeux et nous sommes encore plus impressionnés après avoir vérifié la date de production de la carte : seulement vingt ans se sont écoulés! Là où il devrait y avoir un grand glacier, aujourd’hui il n’y a rien d’autre que la mer et une paroi rocheuse au-dessus de nos têtes. Elle n’est pas très haute, mais nous décidons tout de même de l’escalader en suivant l’une des nombreuses fissures parfaites que la roche nous offre. Une expérience radicalement différente par rapport à l’ouverture de la voie sur la Siren Tower. Ici, la grimpe est bien en dessous de notre limite technique. Nous pouvons nous protéger facilement et nous sommes au soleil toute la journée, ce qui nous donne une expérience agréable dans un environnement spectaculaire. Compte tenu des conditions, nous grimpons légers et rapidement. Nous apportons avec nous quelques barres, un litre d’eau par personne et la veste hybride K-Performance en cas de changement soudain de temps. Elle ne pèse que 280 grammes et il s’agit du vêtement idéal pour les grimpeurs, lorsque le soleil disparaît et que le vent se lève.

Nous avons l’impression de voler sur la paroi. Une série de lignes parfaites et relativement faciles, après l’ascension vécue sur la Siren Tower.Cette voie est un pur plaisir, c’est le plaisir de grimper, de se déplacer rapidement en suivant les faiblesses offertes par le rocher. Un dernier moment de plaisir, avant de reprendre la pagaie jusqu’à Tasiilaq.



En quittant le fjord, nous nous retrouvons immédiatement en difficulté. La mer est agitée et les vagues sont violentes sur le tronçon de côte que nous devons naviguer. Nous sommes plus légers et plus agiles mais aussi plus fatigués, et garder le cap dans ces conditions est tout sauf facile. Quand, à la fin de chaque journée, nous nous hissons à terre, la fatigue prend le dessus et même l’idée de devoir monter la tente et préparer le dîner nous procure une raison supplémentaire de stress. Comme si cela ne suffisait pas, ces derniers jours, le brouillard arrive également pour rendre le tout encore plus complexe. Nous sommes souvent obligés à nous arrêter et de faire des pauses, à la fois pour récupérer de l’énergie, pour vérifier l’itinéraire et vérifier que nous allons dans la bonne direction. L’air est très humide, nous portons donc la veste Sas Plat, qui, grâce au rembourrage synthétique, conserve sa chaleur même dans ces conditions d’humidité élevée. Choisir le bon équipement est essentiel lorsqu’il s’agit d’expéditions de ce type. Une mauvaise doudoune nous aurait laissés mouillés et frigorifiés risquant de compromettre la dernière partie de ce qui, jusqu’à présent, a été une grande expédition. On y pense souvent lorsque nous parcourons rapidement les derniers kilomètres, le courant se calme quand on arrive près du port de Tasiilaq. Le confort de la civilisation nous attend, même s’il est difficile de s’y habituer. Il n’a fallu que 170 kilomètres pour nous emmener dans un autre monde, une planète où la nature gagne. 170 kilomètres qui nous ont offert une expédition facile et une aventure parfaite. Un voyage le long d’une des routes les moins fréquentées.



EXPERIENCE BY

MATTEO DELLA BORDELLA


 
You can compare a maximum of 5 items at once. Please Remove at least one product before adding a new one.